Titre du blog : Frisson d'horreur
Auteur : emma2lil
Date de création : 13-07-2013
posté le 14-07-2013 à 10:51:54
ça attend que j'éteingne
ça attend que j'éteigne
(elle est longue mais génial)
Marie,
S’il te plait, je t’en supplie Marie, lis les mots qui vont suivre. Je
n’ai pas arrêté d’essayer de t’appeler cette après-midi : tu ne m’as
même pas laissé le temps de m’expliquer ! Comme tu as dû débrancher ton
téléphone (vu que tu ne réponds plus du tout), j’ai décidé de t’envoyer
cette lettre. Je t’écris depuis la chambre de l’hôpital psychiatrique où
l’on m’a interné aujourd’hui. Ca ne va pas du tout pour moi, il faut
que tu m’écoutes, s’il te plait ne jette pas cette lettre avant d’avoir
fini de la lire.
Si cette lettre est écrite au crayon-feutre
c’est parce que les médecins ne veulent pas me donner de crayon à bille
ou à plume : ils ont peur que je me fasse du mal avec. Ils n’arrêtent
pas de dire que je me suis automutilé cette nuit chez moi, mais ça n’est
pas vrai ! ils ne croient pas ce que je leur dis ! Il y a un quart
d’heure ils m’ont coupé les ongles tellement courts que ça a saigné un
peu : Ils disent que comme ça je ne pourrais pas m’infliger de griffures
et d’écorchures supplémentaires. Le psychiatre à l’air de dire que je
vis mal notre séparation, mais qu’est ce qu’il en sait !
Je ne
veux pas rester ici. D’accord je ne vais pas vraiment bien, mais je suis
sûr que je ne suis pas fou ! et qui à part toi pourrait m’aider à me
faire sortir de là ? Tu es ma famille la plus proche depuis que mes
parents sont décédés. Ça peut paraître un peu sordide ce que je vais te
dire, mais tant qu’on a pas divorcé, s’il y a bien quelqu’un qui
pourrait faire des démarches pour me sortir de là, c’est bien toi.
Ecoutes, si tu ne le fais pas par souvenir de nous deux, alors fais moi
sortir d’ici et je signe tout de suite les papiers du divorce. Ca va
presque faire un mois maintenant que tu attends ça, hein ? Si tu me fais
sortir de là, je les signe sur le champ.
Je ne veux pas
continuer à dégringoler comme ça : Si ça continue, si je ne retourne pas
travailler, je vais en plus perdre mon boulot ! Déjà que ce mois-ci je
n’y suis presque pas allé à cause de tout ça et du reste : En effet ces
derniers temps il n’y a pas eu que notre séparation qui a été difficile,
j’ai eu d’autres problèmes. Ca n’est pas évident à expliquer, et je ne
sais pas comment te dire tout ce qui m’est arrivé, déjà que ces cons de
toubibs ne veulent pas me croire, je me demande vraiment si tu me
prendras aussi pour un fou, mais de toute façon au point où j’en suis...
Bon, depuis le début du mois, après le week-end de la toussaint, enfin
disons plutôt suite à notre ultime dispute, j’ai fini par dégotter un
petit appartement après deux nuits d’hôtels : il était assez pourri,
mais je pouvais le louer tout de suite. Puis j’ai donc pris mon jeudi
pour venir chercher mes affaires : Excuse moi, mais à ce moment-là tu
étais obligé d’être aussi désagréable avec moi ? Tu savais que je
passais, alors tu as vraiment fais exprès d’avoir déjà quelqu’un d’autre
à la maison ? Tu étais vraiment si pressée d’enterrer nos dix-huit ans
de mariage ? Je ne te demandes pas non plus d’être éplorée et habillée
en noir, mais là quand même... Tu ne peux pas savoir à quel point j’ai
souffert toute la nuit qui suivit, j’étais anéanti. Le lendemain, je
suis allé travailler, mais j’ai été voir Fred pour lui demander deux
semaines de vacances : Je me sentais beaucoup trop mal pour pouvoir
travailler, avec tout ça j’avais besoin de me mettre au vert et de
m’aérer l’esprit. Bah ! tu connais un peu Frédéric, je t’en ai déjà
parlé, il est souvent assez chiant pour accorder les congés, mais j’ai
fini par le faire céder. Donc arrivé le vendredi soir je me retrouvais
avec deux semaines de repos, j’avais trouvé une maison de vacances à
louer dans un petit village près d’Albertville, en Savoie. Le lendemain
midi je suis parti là-bas.
Les tout premiers jours se passèrent
bien, l’air de la campagne, le calme, loin de la ville : tout cela
m’aidait à faire le point, et à mieux supporter la situation. Je passais
mes journées à me promener dans la montagne, le soir j’allais dans le
bistrot du bourg du village, et je me saoulais un petit peu avant de
rentrer me coucher : je n’arrêtais pas malgré tout de ressasser le
passé, de penser à nous.
Durant la nuit du lundi au mardi je me
suis réveillé en sursaut, j’ai poussé un cri tellement j’ai eu peur.
Pendant mon sommeil j’ai eu l’impression qu’on me grattait sur le dessus
de là tête, j’étais sûr qu’on m’avait gratté dans les cheveux. La
sensation qui m’avait tiré du sommeil paraissait réelle, mais quand j’ai
allumé la lumière, je n’ai rien vu, il n’y avait personne. Je suis
resté un bon quart d’heure, lumière allumée, allongé dans mon lit à
regarder au plafond avant de me décider à me rendormir. Sur le moment je
me suis juste dis que ma dépression me faisait des tours... je le
croyais, mais plus maintenant.
Deux nuits plus tard je me suis
réveillé en hurlant en plein milieu de la nuit pour la même raison : Je
sentais qu’on me grattait sur le dessus du crâne. Je suis resté assis
sur mon lit quelques minutes, je n’arrêtais pas de me dire que je
perdais la boule. J’ai fini par allumer la télé et je me suis endormi
devant. Au matin, les dessins animés pour enfant m’ont tiré du sommeil. A
mon réveil, je me suis dit qu’il valait mieux que je ne consomme plus
du tout d’alcools, fort de cette décision, je passai une bonne journée.
Tu n’as sûrement pas peur dans le noir, non ? Je dois dire que moi
aussi, cela faisait partie des peurs d’enfants qui m’avaient quittées
avec le temps. Mais à cause de la nuit précédente, le soir arrivé, je
n’avais pas trop envie d’aller me coucher. Il est vrai que j’avais envie
de boire un peu, c’est vrai, mais j’avais surtout un peu peur. Une fois
allongé, lumière éteinte, je me suis blotti dans les couvertures, je
gardais les yeux bien clos, on aurait sûrement dit un enfant de cinq ans
! Je finis par m’endormir, mais d’un sommeil léger, sûrement à cause de
la peur, et elle m’a été salvatrice : C’est sûrement à cause de cette
crainte que je dormis d’un sommeil agité, et que je me suis réveillé
plusieurs fois au milieu de la nuit. Ce devait être la troisième fois de
la nuit que j’ouvrais l’œil : tout était plongé dans l’obscurité, on ne
discernait qu’un léger trait de lumière à la jonction des volets qui
laissaient filtrer un peu de la clarté de la lune du dehors. Au début, à
moitié endormi, j’ai pensé que je devais être un peu pris à la gorge et
que le son que j’entendais devait être le râle de ma respiration. Mais
je respirais très bien, et plus qu’un râle j’entendais à présent
clairement le son, non pas d’un râle, mais d’un grognement, comme celui
d’un chien prêt à attaquer. Il provenait d’à côté de la porte de la
chambre. Je me blottis encore plus fort dans mes couvertures : j’avais
peur de bouger. Le grognement s’intensifia. Pris alors de panique, dans
un mouvement incontrôlé je projetai ma main sur l’interrupteur de ma
lumière de chevet, et allumais : Le grognement s’arrêta aussitôt, il n’y
avait rien dans la chambre. J’ai gardé les lumières allumées toute la
nuit.
Il me fallut attendre jusqu’au petit matin avant de
trouver le sommeil. J’ai dormi jusqu’en début d’après-midi, puis je suis
allé au bistrot du coin : On était le samedi et il y avait un match de
foot qui passait à la télé, du coup il y avait du monde et ça me
rassurait d’entendre le brouhaha tout autour de moi : je me sentais en
sécurité. Je me suis mis à boire, jusqu’au milieu de la nuit. Arrivé à
la maison, même saoul, je ne me sentais pas très rassuré, je laissais
les lumières de la chambre allumées avant de m’écrouler sur le lit. Le
lendemain j’ai passé une bonne partie du dimanche à récupérer de ma
gueule de bois, mais je me sentais, malgré cela, un peu plus serin : Il
n’y avait rien eu de bizarre pendant la nuit.
Le soir venu je me
suis endormi avec la lumière allumée, j’étais rassuré par la lumière :
J’avais l’impression de retourner en enfance, mais entre laisser les
lumières allumées et ne pas dormir, mon choix avait été vite fait.
Je me suis réveillé dans mon lit en hurlant, une douleur atroce au
torse. J’étais plaqué sur le dos, on m’écrasait le ventre. La pièce
était plongée dans le noir : La lumière, je ne savais comment, était
éteinte. J’ai hurlé… oh ! ce que j’ai hurlé ! de douleur surtout, mais
aussi d’effroi. Ce qui était sur moi hurlait aussi, enfin, plutôt
émettait une espèce de « gggGGGoooOOOO » guttural, grave et puissant,
rien que d’y penser, j’en ai des frissons. Je ne voyais rien, juste une
ombre aux contours indéfinis au-dessus de moi. J’ai tendu le bras et
essayé plusieurs fois d’allumer la lampe de chevet, mais sans résultat.
Ensuite je ne sais pas comment j’ai fait pour me dégager, sûrement que
la poussée d’adrénaline n’y a pas été pour rien, mais j’ai réussi à
m’échapper de l’étreinte. J’ai couru hors de la chambre, ce qui était
maintenant derrière moi s’est mis à hurler encore plus fort. Ce truc m’a
poursuivi, je l’entendais juste derrière moi. Au moment où j’ai allumé
la lumière, ça hurla, le cri fut déchirant, comme le hurlement d’une
femme qui se fait agresser. Le temps que je fasse volte-face, le cri
avait cessé et il n’y avait plus rien derrière moi.
Comment te
décrire l’état dans lequel je me trouvais après cela : Tu t’es déjà
réveillé en sueur, parfois en hurlant après un cauchemar terrifiant,
puis d’un coup tu réalises que tu es au chaud, en sécurité dans ton lit ?
Eh bien là c’était l’inverse, je me croyais au calme, en sécurité, et
je me suis fait agresser : j’étais complètement terrifié, il n’y avait
plus de lumière et je ne voyais donc rien quand c’était arrivé, et ce...
cette chose me labourait le torse. Quand c’est parti je suis resté dans
le couloir, la main sur l’interrupteur. Je suis resté comme ça jusqu’au
petit matin, je ne voulais plus bouger, je ne pouvais plus dormir :
j’avais trop peur.
Je suis retourné dans la chambre à la lumière
du jour : j’ai compris pourquoi la lumière était éteinte quand c’était
arrivé : La maison datait pas mal, et les fils électriques ne passaient
pas par les murs, mais le long de la plinthe : Ils avaient été
déchiquetés juste avant l’entrée dans la chambre.
On était le
lundi, j’avais encore devant moi un peu moins d’une semaine de location
de la petite maison de vacances, mais je ne voulais plus rester là.
Franchement je ne savais pas ce qu’il y avait de bizarre dans ce
village, mais je n’aurais pas voulu aller mener l’enquête auprès des
habitants : Ils m’auraient sûrement cru fou, et je ne serais de toute
façon pas resté une nuit de plus dans ce patelin.
J’ai repris le
bus puis le train le jour même : Plus je m’éloignais, mieux je me
sentais : Toutes ces choses avaient eu lieu là-bas, et en partant je les
laissaient derrière moi. Franchement je ne cherchais plus trop à savoir
si j’étais fou ou si c’était vrai : j’avais peur, et je voulais
retrouver ma sécurité et ma sérénité. Au moins l’avantage était que
notre rupture me tracassait du coup beaucoup moins : Un souci en chasse
un autre finalement !
Mais deux nuits plus tard ça à repris : Je
commençais tout juste à penser à autre chose, que ça reprenait. Je
m’étais réveillé de nouveau à cause du grognement près de moi dans mon
lit : Là encore complètement paniqué j’ai allumé la lumière, et tout
c’est arrêté. J’avais peur, mais ce qui me rendait malade était que je
n’avais pas pensé que ça m’aurait poursuivi.
On était le
mercredi et j’étais donc toujours en vacances, ça valait mieux car je ne
devais pas être beau à voir : Je n’avais pas dormi de tout le reste de
la nuit, j’avais bu tout ce qui me restait de whisky, je restais juste
assis sur le bord de mon matelas à me demander désespérément ce que je
pouvais faire, et à qui je pourrais demander de l’aide. Plus j’y pensais
et plus je pouvais constater que j’étais vraiment seul, je ne voyais
personne en qui j’avais assez confiance pour lui déballer tous ces trucs
de dingues. A part toi et les enfants j’ai vraiment l’impression que je
n’ai plus grand monde que je connaisse bien et sur qui je puisse
compter.
Pour la nuit suivante j’ai rallumé les lumières dans ma
chambre, j’avais bien vérifié que le fil passait dans le mur, mais
c’est le cas pour toutes les constructions d’aujourd’hui. J’avais
vraiment peur de la nuit qui allait venir, je ne savais plus trop quoi
faire, au final pour me rassurer un peu plus, j’ai scotché les
interrupteurs dans ma chambre à grosses doses de chatterton.
Durant la nuit je dormis par intermittence, à penser et à ressasser sans
fin ce qui m’arrivait. Vers les trois heures du matin, j’eus envie
d’uriner : Je me levais, ouvris la porte de ma chambre, entrai dans le
couloir. Mon sang se glaça quand j’entendis le rugissement sourd sur ma
droite, j’eus à peine le temps de bouger qu’une douleur fulgurante me
fit hurler. Je bondis sur l’interrupteur, la lumière s’alluma, le même
cri aigu de la dernière nuit dans la maison de campagne résonna, puis
plus rien. Je suis resté assis sur le sol, adossé au mur, ma cuisse
saignant lentement par la longue plaie que ça m’avait infligée. J’avais
vraiment mal, et je me sentais complètement abasourdi par cette
agression foudroyante que je venais de subir. Je me suis dit que les
gens qui se font agresser dans la rue devaient ressentir un sentiment de
dénuement avoisinant. Au bout de dix minutes je me suis décidé à aller
dans la salle de bain pour soigner ma blessure.
Disons que si
les jours précédents je doutais encore que ça craignait la lumière, j’en
étais complètement sûr après cette nuit-là : La lumière n’était allumée
que dans ma chambre quand c’était arrivé. J’en ai déduit que ça m’avait
attendu juste en dehors, je ne l’avais vraiment pas vu venir quand ça
m’avait sauté dessus : Au moins j’étais quasi persuadé qu’à la lumière
j’étais en sécurité. Après m’être désinfecté et bandé ma cuisse, j’ai
bien pensé à appeler la police, mais pour leur dire quoi ? Qu’un monstre
me saute dessus quand je dors la nuit ? J’ai failli aussi t’appeler à
ce moment-là, j’aurais peut-être dû, mais je ne voulais pas empirer
davantage la situation entre nous. Il faut croire que j’avais encore un
espoir qu’on puisse se remettre ensembles : Et je te rassure, si
aujourd’hui je t’écris, c’est pour demander ton aide, juste ça, pas
plus, juré.
Après réflexion, vu qu’à la lumière j’étais en
sécurité, je suis allé acheter de gros rouleaux de chatterton, j’ai
allumé toutes les lumières de l’appartement et j’ai abondement scotché
les interrupteurs, je n’y étais pas allé de main morte : Ca avait marché
pour ma chambre, donc je me disais que ça marcherait aussi pour le
reste de l’appartement, et j’avais raison.
De nouveau je dormis
paisiblement. La première nuit, j’eus des craintes, mais il ne se passa
rien, cela me rassura et je m’endormis assez sereinement les nuits
suivantes. Mes congés touchaient doucement à leur fin, je commençais à
repenser au boulot, à notre séparation, à me dire que j’avais peut-être
un peu perdu la tête avec les agressions que je subissais la nuit : Je
ne leur trouvais pas d’explication, je finis par admettre un peu l’idée
que tout ça puisse se passer dans ma tête. J’ai failli t’appeler le
week-end pour passer te voir afin qu’on décide des dates pour aller en
finir avec notre mariage : vu que tout ça me faisait perdre la boule, je
voulais que ça s’arrête au plus vite. Mais je n’ai rien fait, je suis
resté tranquillement chez moi tout le week-end, à attendre le lundi pour
reprendre le travail. Je ne m’endormis pas trop tard le dimanche soir
afin d’arriver en forme au boulot le lendemain.
Bon dieu ! Je me
suis réveillé en plein milieu de la nuit dans les ténèbres, tout était
noir ! Je dis que je me suis réveillé, disons plutôt que je fus réveillé
par ce qui était en train de me secouer comme un prunier, je hurlais de
douleur : Ca m’agrippait, comme pris dans un étaux, je sentais ses
griffes rentrer dans mes épaules. Ca me secouait avec une telle violence
que quand ma tête heurta le montant du lit, je crus bien m’évanouir. Le
son que ça émettait, le « ggggGGGoooOOO » grave et guttural, fit place à
des grognements dès que j’ai commencé à me débattre. J’ai essayé de
donner des coups de pieds, mais ça me tenait par les épaules et je ne
pouvais rien faire. Alors prenant appui sur mes jambes, j’ai tenté de me
dégager en pivotant sur moi-même : j’ai eu très mal, les griffes m’ont
littéralement déchiré les épaules quand je me suis arraché de sa prise.
Je reculai vers le pied de lit, je sentis une douleur atroce me
parcourir le dos, j’entendais maintenant derrière moi comme le hurlement
d’un cochon qu’on égorge, j’étais complètement terrorisé. Je courus
hors de la chambre, il n’y avait pas de lumière dans le couloir. Je me
jetai sur l’interrupteur, mais rien ne s’alluma ! Pris de panique,
entendant ce qui était derrière moi approcher, je me précipitai dans le
couloir de l’immeuble, j’allumai la lumière, qui marchait : J’entendis
alors comme des petits cris de chien battu venant de mon appartement.
J’étais nu, dans le couloir de l’étage de mon immeuble, les épaules et
le dos gravement et profondément écorchés, avec ce truc dans mon
appartement qui allait me sauter dessus dès que je me retrouverais dans
le noir. Comment voulais-tu que j’aille voir un voisin pour lui dire ça
et demander de l’aide ? Heureusement que la moquette du couloir était
sombre, car je pense que sinon les voisins auraient vu au petit matin
les taches de sang que j’avais laissées. Quant à moi j’avais décidé
d’attendre que le jour arrive, je m’étais caché dans la cage d’escalier
de l’immeuble : Je me suis dit que les gens prennent tous l’ascenseur et
que je ne serais pas surpris si je restais là. Il faisait très froid,
je n’en pouvais plus. Mon sang, qui avait fini par arrêter de s’écouler
au bout d’un moment, avait tacheté le sol en béton. Je gardais le doigt
pressé sur l’interrupteur, craignant plus que jamais de me retrouver
dans l’obscurité. Pendant tout le temps où je suis resté là à attendre,
je n’arrêtais pas de me demander comment ça avait pu tout éteindre dans
l’appartement, pourquoi les lumières ne s’étaient pas allumées quand
j’avais essayé.
Quand j’entendis les premières personnes sortir
de chez eux, cela faisait bien trois heures que j’étais dans la cage
d’escalier, derrière la porte, nu, en chien de fusil, le bras tendu vers
l’interrupteur pour tenir la lumière allumée. Principalement j’étais
frigorifié, je tremblais de partout, et je crois bien que j’aurais fini
par être en hypothermie si j’avais dû rester plus longtemps là.
J’entrouvris donc la porte, jetai un oeil dans le couloir, il n’y avait
personne, la porte de mon appartement était toujours ouverte, je voyais
de la lumière : Je n’avais pas fermé les volets, et la lumière du jour
éclairait maintenant mon appartement. Je courus jusqu’à l’entrée, ça
n’avait plus l’air d’être là : je vérifiais qu’il n’y avait plus rien
dans chaque pièce, attrapais ma couette au passage dans la chambre,
retournais à l’entrée, fermais la porte et m’effondrais, le dos contre
le mur de l’entrée. Je pleurais, j’étais épuisé, je me suis enroulé dans
ma couette. Quelques minutes plus tard je m’endormais, derrière ma
porte d’entrée, à même le sol, sanglotant encore.
Je me suis
réveillé un peu avant midi. J’avais le dos et les épaules en feu, je
n’étais évidemment pas allé travailler, n’ayant pas encore le téléphone
dans cet appartement de fortune, ils n’avaient aucun moyen de me
contacter du travail. Mais ce n’était pas mon travail qui me tourmentait
le plus, je voulais savoir pourquoi les lumières étaient toutes
éteintes cette nuit quand je fus agressé. Je devais être vraiment
complètement désorienté pour ne pas avoir compris plus tôt : Le compteur
d’électricité était à l’intérieur de l’appartement, mais tout près de
l’entrée… et il était coupé. Je ne sais pas comment ça a fait à cause de
la lumière, mais ça c’était débrouillé. Une heure plus tard, je sortais
dehors pour aller acheter des bougies, j’en profitais pour appeler au
boulot et demander un jour de congé car je me sentais mal, mon patron
n’était pas content. Après mes achats, je revins chez moi, avec un sac
rempli de bougies.
Avant que le soleil ne se couche, j’avais
disposé les bougies un peu partout dans ma chambre. Leurs lumières,
ajoutées à celles du plafond, emplissaient la chambre. Cela me
rassurait, et même si le courant était coupé je n’aurais pas été pris au
dépourvu. Malgré tout je n’arrivais pas trop à dormir.
Il était
deux heures du matin, je ne dormais toujours pas. J’entendis le « clac »
du disjoncteur à m’entrée, les lumières s’éteignirent : C’était là,
c’était encore venu. Je ne bougeais pas de mon lit, j’avais peur et je
tremblais, mais avec les bougies ce n’était que la seule pièce éclairée,
je n’allais donc pas sortir de là ! Sans surprise j’entendis son
grognement rauque approcher de la porte, puis ça se mit à pousser de
longs rugissements caverneux, ils s’accompagnaient de sifflements comme
ceux de la respiration d’un asthmatique, j’étais terrifié : Je restais
emmitouflé dans ma couette, n’osant plus bouger d’un pouce. Ca n’entra
pas : Progressivement les cris redevinrent grognements, à cause de la
lumière des bougies ça ne pouvait pas entrer. Même si j’avais toujours
peur, je me sentais mieux, plus en sécurité.
Au bout d’une
demi-heure j’avais sombré dans un demi-sommeil, je poussais un petit cri
de surprise quand je vis la porte de ma chambre s’entrebâiller
doucement. Je vis alors passer le dossier d’une des chaises de la
cuisine qui balaya les bougies près de la porte, puis le dossier battit
en vain dans le vide pendant une bonne minute. Les grognements firent de
nouveaux place aux longs cris graves et sifflants, j’étais encore
blotti dans ma couette, d’où ne dépassaient que mes yeux, j’attendis
comme cela jusqu’à six heures du matin. Ca avait encore essayé plusieurs
fois de renverser d’autres bougies avec la chaise, mais toujours en
vain. A six heures je m’endormais malgré sa présence derrière la porte
de ma chambre : je l’entendais toujours grogner.
Je me
réveillais encore une fois vers midi, je mis bien une heure pour me
préparer à sortir : Même si j’avais trouvé la parade, je m’alarmais déjà
à l’idée de devoir dormir bougies allumées pour toutes les nuits à
venir. Je fis quelques courses, j’achetais cette fois-ci un plus grand
nombre de bougies, car elles avaient toutes fini de se consumer. Puis je
suis allé à reculons dans une cabine téléphonique pour appeler à mon
travail : J’eus droit à de sérieuses remontrances, je me confondis en
excuses pour ce deuxième jour d’absence, mais je n’avais pas le choix,
il fallait que je retourne au travail le lendemain. Je rentrais chez
moi, une bougie allumée à la main, la peur au ventre, tourmenté par mes
absences au travail, par notre rupture, complètement apeuré et fatigué.
Tu sais Marie, je crois que c’est quand ça ne va pas comme ça que la
solitude est la plus pesante.
Même si ce ne fut pas de sommeil
profond, je passais une nuit de repos presque complète. Au réveil, les
bougies étaient toujours allumées, je n’avais pas entendu de
grognements. Je suis allé manger un morceau de brioche et me fis un
café, puis je suis allé prendre une douche : Je ne voulais pas être en
retard pour reprendre mon travail, surtout que j’allais devoir subir les
reproches de mes absences, rien que d’y penser cela me tracassait, mais
de toute façon je ne pouvais pas y couper.
Je suis allé prendre
une chemise dans le placard mural de la chambre après ma douche. A
peine j’avais entrebâillé la porte de la penderie qu’une main osseuse,
grise et griffue surgit de l’entrebâillement et me saisis au poignet. Je
n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, elle me tira avec
une telle force et une telle violence vers le placard que je fus comme
projeté contre la porte. Le choc m’étourdit, je n’avais plus la force ni
la volonté de m’échapper, et de toute façon ça ne m’a pas laissé le
temps de reprendre mes esprits. La main me tira pour me projeter une
seconde fois sur la porte du placard et ma tête cogna cette fois-ci sur
le coin de la porte. Je ressentis une décharge de douleur au crâne, tout
devint sombre, j’entendis un bourdonnement dans mes oreilles, puis ce
fut les ténèbres.
Je ne pense pas être resté sans connaissance
bien longtemps, tout au plus quelques secondes. Je suppose que je me
suis réveillé à cause de la douleur : Je sentais ses coups de griffes me
déchirer du haut du visage jusqu’au nombril, elle me labourait les
chairs, la douleur était atroce, il faisait complètement noir autour de
moi. Je voulus m’enfuir, je sentis la porte bouger, mais elle devait
être fermée à clef car malgré mon insistance elle ne s’ouvrait pas. Sa
patte fit un nouveau un passage complet de mon épaule gauche jusqu’au
bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l’effroi je me
projetais contre la porte, elle s’ouvrit en me laissant tomber sur le
sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées.
J’avais du mal à garder les yeux ouverts car j’avais de la transpiration
qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le
visage, puis l’examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur
était atroce, je n’arrivais pas à dire où j’avais mal : tout le haut de
mon corps n’était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis
décidé à demander à l’aide je me dirigeais au dehors de mon appartement,
j’avais du mal à marcher, je jetais un coup d’œil à mon ventre, il
était couvert de sang, je réalisais que j’étais nu, mais je n’avais plus
de forces, il fallait que je sorte. J’ouvris la porte d’entrée, je
sortis en m’appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en
titubant dans le couloir avant de m’écrouler sur le sol. J’entendis une
voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.
Je me suis
réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne
sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais
maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à
avoir mal. Je me suis regardé tout à l’heure dans une glace, ils m’ont
bandé une bonne partie du visage : j’ai soulevé un peu les bandes pour
regarder au-dessous, et ça n’était pas beau à voir : la peau est
labourée. J’ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant
que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d’un homme !
Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n’ai même pas
regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.
Voilà donc où j’en suis depuis qu’on s’est quittés. j’ai besoin que tu viennes me tirer d’ici. Je ne vais pas...
« Monsieur Le Bail ? »
... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...
« Monsieur Le Bail ?
- Hmmm, heu, oui… heu… excusez-moi.
- Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c’est l’heure de dormir.
- Déjà ? Mais je n’ai pas fi...
- Il faut aller dormir, c’est comme ça ici, c’est pareil pour tout le monde.
- Mais ma lettre ?
- Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !
- Mais...
- Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.
- Mes médicaments ? j’ai juste mal...
- Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »
Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de
discuter avec l’infirmière, de toute évidence elle se bornait au
règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d’une de leur « robe de
chambre » : un tablier en tissus, fermé à l’arrière par un nœud sur un
petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses
des patients à nu toute la journée.
« Voilà, maintenant prenez vos médicaments »
L’infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre
repli d’eau. Il regarda l’infirmière pour lui demander s’il devait tout
prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba
toutes les gélules puis les avala d’une rasade d’eau. Le visage de
l’infirmière passa de l’agacement au sourire.
« Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »
Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l’infirmière.
Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu’à la sortie de
la chambre.
« Non ! s’il vous plait ! J’ai besoin de la lumière. »
L’ infirmière gardait son doigt sur l’interrupteur.
« Vous avez la veilleuse dans le couloir.
- Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.
- Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c’est non, vous demanderez demain matin au médecin.
- Mais...
- Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j’éteins.
- Mais...
Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.
La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne
partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s’enfouit sous les
couvertures, apeuré, à l’écoute de chaque son.
Le sommeil
commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il
avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme
dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait
chaud… il se sentait bien… il avait du mal à garder… comme dans du
coton… il avait chaud… les yeux ouverts.
« Hein ! »
Il
entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement
pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte,
il déboula dans le couloir en hurlant :
« AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L’AAAAIIIDDE ! »
L’infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d’une des
chambres d’à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent
vers lui.
« On se calme monsieur !
- AAA LLL’AAAAIIIIIDDE.
- MONSIEUR CALMEZ VOUS !
- JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »
Les deux infirmières se regardèrent d’un air interrogateur.
« Bon, ben tu lui dis de venir ?
- D’accord.
- Je reste ici pour le surveiller en attendant. »
Il s’adossa contre un mur, épuisé.
« Ne me laissez pas dans le noir… je ne veux pas retourner dans la chambre.
- Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.
- Qui va venir ?
- Un médecin.
- Le psy de garde ? hein, c’est ça ?
- Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...
- JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »
Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.
« ALORS ON N’ARRIVE PAS A DORMIR ?
- C’EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C’EST PARCE QUE J’ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...
- Monsieur calmez-vous, s’il vous pl...
- PUISQUE JE VOUS DIT QUE C’EST DANS LE NOIR, DES QU’IL Y A UN COIN SOMBRE C’EST LAAA.
- Bon allez ! on l’attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »
Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.
« CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N’AVEZ
PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS
VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !
- ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »
Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte
au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le
traînèrent jusqu’à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que
les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux
chevilles.
« Allez ! maintenant on dort !
- NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »
l’infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l’injection dans son bras.
« Avec cette dose au moins il va dormir, c’est sûr. »
Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.
« A L’AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D’ICIIIIIIIIII !
AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à
sort… à sort… à sortiiir d’iciii... A l’aiddde… au… au secours... sss...
sss... sss’il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en...
en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ...
... ... »